MÉMOIRE DE L’ASSOCIATION CANADIENNE POUR LA PROMOTION DES SERVICES DE GARDE À L’ENFANCE

Introduction

L’Association canadienne pour la promotion des services de garde à l’enfance (ACPSGE) a défini des moyens d’assurer que les familles canadiennes vont continuer d’avoir accès aux soutiens et aux services d'aide précoce à l'apprentissage dont elles ont besoin, et déterminé des stratégies qui permettront au gouvernement de mettre en place une solide fondation sociale et économique à cet égard. Si le Canada est l’un des derniers pays à subir l'incidence de la crise économique mondiale, son secteur sans but lucratif n’est pas à l’abri de la propagation rapide de celle‑ci. Le conseil consultatif en matière d’économie auprès du premier ministre considère les crises économiques courantes comme un phénomène sans pareil, où l’on assiste à la déstabilisation de six secteurs financiers mondiaux, alors qu’un seul ou deux en difficulté suffirait à causer un ralentissement normal. Les sources traditionnelles de financement stable du secteur sans but lucratif (fondations communautaires,  municipalités, entreprises, etc.) sont elles‑mêmes en crise. L’ACPSGE a sans cesse défini les moyens d’assurer que les familles canadiennes vont continuer d’avoir accès aux soutiens et aux services d'aide précoce à l'apprentissage dont elles ont besoin, et nous continuons de fournir des stratégies pour permettre au gouvernement d’émerger de la crise avec un secteur de la garde à l’enfance renforcé et plus solide. Et puisque le besoin chronique de services d'éveil et d’apprentissage de la petite enfance continue d'exister, les preuves démontrant l’importance de développer la politique publique et l’investissement à cet égard demeurent, au même titre que nos recommandations, les mêmes. Par conséquent, au nom de l’ACPSGE, nous soumettons pour votre réflexion notre contribution à l’Alternative budgétaire pour le gouvernement fédéral pour 2011 du Centre canadien de politiques alternatives http://policyalternatives.ca/afb2011. Voir : Rethink, Rebuild, Renew, à la Section 1, « Securing our Common Wealth », page 43, Early Childhood Education and Care. 

Qu’est-ce que l’ACPSGE?

L’Association canadienne pour la promotion des services de garde à l'enfance (ACPSGE) est vouée à la promotion de services de garde de qualité, inclusifs, financés par les fonds publics, sans but lucratif et accessibles à tous. Les membres de l'Association ont un lien direct avec plus de quatre millions de Canadiens, incluant les parents, les fournisseurs de soins, les chercheurs et les étudiants et les organismes de condition féminine, de lutte contre la pauvreté, du travail, de la justice sociale, de la protection des handicapés et de la vie rurale.

Aperçu

Le document prébudgétaire de l’ACPSGE présenté au Comité permanent des finances de la Chambre des communes porte sur des questions précises. La première est comment assurer une reprise économique soutenue au Canada, la seconde est comment créer des emplois durables et de qualité, la troisième comment garder des taux d’imposition relativement bas, et la dernière comment réaliser un budget équilibré. Les Canadiens sont préoccupés à juste titre par l’avenir de nos systèmes de santé et d’éducation publiques bien établis. Ils sont nombreux à ressentir un malaise de constater que des années de réduction d’impôt ont diminué notre capacité collective de financement public de l’accès équitable et de qualité pour tous. Les preuves attestent que les Canadiens s’interrogent sur cette volonté implacable d’appliquer des démarches axées sur le marché, souvent à but lucratif, aux services publics dont la base même repose sur les valeurs du partage, du soin des autres et de l’égalité.  

Le Canada est un archétype de l’échec du marché et de l’investissement public inadéquat dans le bien commun.  Plutôt que de simplement renforcer la garde à l’enfance, comme c’est nécessaire de le faire avec nos systèmes de santé et d’éducation publiques, nous devons en réalité édifier un système d’éducation de la petite enfance et de garderies au Canada.

Le système canadien de garde d’enfants axé sur le marché

Les services de garde à l’enfance au Canada sont commercialisés, ayant toujours dépendu du secteur privé (tant sans but lucratif que lucratif) pour planifier, financer et exploiter les programmes pour les jeunes enfants, avec les parents qui payent la plus grande partie des coûts, même pour les garderies réglementées. 

Le résultat? Le système de garderies au Canada est affligé de trois défaillances du marché :

·         Les coûts élevés pour les parents : les données de la Colombie‑Britannique indiquent que la garde d'enfants est ce qui vient au deuxième rang des coûts que les familles doivent assumer, après le logement.  Même chose dans l'ensemble du Canada : la garde d'enfants coûte plus cher à de nombreuses jeunes familles que les frais universitaires des enfants pour d'autres familles.

·         Faible rémunération du personnel : la rémunération du personnel spécialiste de l’éducation de la petite enfance est un indicateur clé de la grande qualité requise pour le développement des enfants. Mais les exigences de formation du Canada pour les éducateurs de la petite enfance ne respectent pas les normes moyennes des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). De plus, le secteur, à prédominance féminine, des services de garderies, demeure l’un des moins bien rémunérés au Canada. Plus de la moitié des spécialistes de l’éducation de la petite enfance du Canada ne travaillent pas dans la garde d’enfants. La crise du recrutement et de la conservation des effectifs qui en résulte dans tout le pays compromet donc la qualité de nos services de garderies.

·         Demande non satisfaite : si environ 75 % des mères de jeunes enfants font partie de la population active, seulement environ 20 % des enfants de moins de cinq ans ont accès à une place en garderie réglementée. Pourtant, en 2007 et en 2008, le nombre de places en garderie réglementée au Canada a augmenté de seulement 3 % par année, soit environ le tiers du taux de croissance affiché plus tôt dans la décennie. 

Les prix élevés, la faiblesse de la rémunération et la demande non satisfaite, sont autant de signaux qui devraient faire prendre conscience aux gouvernements de l'inégalité fondamentale inhérente à leur approche, orientée de longue date sur le marché, dans le secteur des services de garderies. La mesure à prendre reposant sur les observations factuelles devrait consister à créer un système financé et géré par l’État qui fait l’amalgame des services d’éducation de la petite enfance et de garderies et qui privilégie l'égalité d'accès et de la prestation du service.

La plupart des Canadiens sont d’accord. Une série de sondages récents révèlent qu'au moins les trois quarts des Canadiens sont pour un programme national de garderies et considèrent que le manque de garderies à prix abordable est un problème sérieux. 

Heureusement, la solution est claire et manifeste : un ensemble cohérent d'observations factuelles démontrent que non seulement l'édification d'un système public d'éducation de la petite enfance et de garderies est la bonne chose à faire pour les parents et les enfants, mais la chose intelligente à faire pour l'économie du Canada.

·         La garde d'enfants fait croître l'économie : chaque dollar investi dans les programmes de garderies fait augmenter le produit intérieur brut (PIB) de 2,30 $. C’est l’un des niveaux de stimulants économiques à court terme les plus forts de tous les secteurs, et loin en avant de la construction et de la fabrication.

·         La garde d'enfants crée des emplois : investir un million de dollars dans le secteur des garderies génère presque 40 emplois, soit au moins 40 % de plus que l'industrie suivante, et quatre fois le nombre d’emplois générés par l’investissement d’un million de dollars dans les activités de construction.

·         La garde d’enfants s’auto-rentabilise et beaucoup plus. Même à court terme, plus de 90 % du coût de l’embauche des travailleurs en garderie revient au gouvernement sous forme d’une augmentation des recettes, et c’est le gouvernement fédéral qui en profite le plus. À long terme, chaque dollar public investi dans les programmes de garderie de qualité retourne 2,54 $ en avantages à la société.

Si les avantages de l’édification d'un système public sont clairs, et les défaillances des approches axées sur le marché en ce qui a trait aux services de garderie et à l’éducation de la petite enfance sont flagrantes d’un bout à l’autre du pays, il est dérangeant de constater que la garde d’enfants à but lucratif augmente au Canada. Alors qu’elle représentait environ 20 % du nombre total de places en garderie en 2004, elle en couvrait 25 % en 2008.  Des pays comme l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, où les programmes à but lucratif dominent, y compris les chaînes de garderie, offrent les leçons suivantes au Canada advenant qu'il continue d'ignorer cette menace :  

·         La croissance du nombre de places sera contrebalancée par les fermetures, particulièrement celles des petits exploitants à but lucratif

·         La croissance sera moins susceptible de se produire dans les régions moins « profitables » et pour les enfants moins « profitables » (par exemple, les communautés rurales ou isolées et les enfants handicapés, les nourrissons et les tout‑petits).

·         L’importance des coûts fixes (personnel, installations, etc.) va faire en sorte que les chaînes de garderie ne seront pas plus viables financièrement que les programmes existants. Les gouvernements seront pressés de promouvoir la rentabilité en desserrant les normes de qualité, ou en augmentant le financement public, ou les deux. En d’autres mots, les fonds publics vont soutenir les profits privés plutôt que les objectifs publics de qualité, d'abordabilité et d'accès.  

Progresser vers plus de services publics d’éducation de la petite enfance et de garderies

La plupart des pays qui ont mis en place des systèmes efficaces l’ont fait par l’entremise des ministères de l’Éducation plutôt que des Services sociaux, bon nombre d’entre eux ayant intégré la séparation traditionnelle entre les programmes d’éducation de la petite enfance dans les écoles publiques et les garderies en milieux communautaires. Les principes des systèmes d’éducation publique au Canada – le droit universel aux programmes offerts par du personnel raisonnablement bien rémunéré et bien formé, et la gouvernance démocratique – sont cohérents avec les principes basés sur les observations factuelles recommandés pour les garderies. 

Le fait que les besoins des familles qui travaillent à plein temps n’aient pas été pris en considération à ce jour dans le mandat des systèmes d'éducation publique canadiens illustre bien la restructuration qui s’impose par l'entremise de ce processus. En outre, le domaine de l’éducation publique au Canada n’a pas encore ajusté les conceptions conventionnelles sur les modes d’apprentissage des jeunes enfants pour assurer d’éviter la « scolarisation » de l’éducation de la petite enfance et des garderies. Finalement, les implications du transfert des services de garderie et des éducateurs de la petite enfance vers l'éducation publique n'ont pas encore été entièrement évaluées et discutées. On souhaiterait que l’édification d’un nouveau système d'éducation et de garderies publiques pour les jeunes enfants se fasse à l’intérieur d’un processus et d’une solution respectant et incluant ceux qui sont particulièrement désireux de participer à l’avancement d’un système universel de qualité et démocratique.

L’absence du gouvernement fédéral

Le plus grand obstacle aujourd’hui à l’avancement d’un système d’éducation de la petite enfance et de garderies au Canada est l’absence du gouvernement fédéral à la table. Si, par le passé, les gouvernements fédéraux ont promis plus qu’ils n’ont livré en matière de garderies, le gouvernement fédéral actuel a fait un pas de plus en larguant toute responsabilité dans le dossier. Dans le cas présent, ne rien faire est une décision politique qui est, de notre point de vue, néfaste : le manque de leadership du gouvernement fédéral en ce qui a trait aux garderies limite les progrès des provinces et des territoires aujourd'hui et restreint notre capacité d'agir à l'avenir.

Fait intéressant, il y a maintenant une sensibilisation accrue aux problèmes créés par la dépendance excessive d'une approche axée sur le marché qui n'est pas équilibrée par l'intervention gouvernementale pour réaliser un accès équitable à des services de qualité. Même avant la dernière récession, le discours public reconnaissait la nécessité de la participation du gouvernement aux enjeux comme le changement climatique. À la fin, cette sensibilisation pourrait améliorer les possibilités commerciales de développer un système public d’éducation de la petite enfance et de garderies, ou encourager les partisans du marché à chercher de nouvelles façons d’empocher les profits privés de ce bien public.   

« Nous le ferions, mais nous n'en avons pas les moyens » [traduction], disait‑on pour justifier l’inaction dans le dossier des garderies avant l'an 2000. Et puis, quand les surplus fédéraux et provinciaux ont commencé à augmenter annuellement, atteignant un sommet vertigineux de 30 milliards de dollars combinés en 2007, on a finalement vu émerger un engagement petit, mais néanmoins croissant, du gouvernement fédéral dans le financement des garderies. Toutefois, au pinacle de l’épanouissement économique du Canada, le gouvernement fédéral actuel a éliminé la seule initiative nationale d’envergure en matière de garderies. C’est ainsi que les transferts fédéraux en 2007‑2008 ont été réduits de 37 % par rapport à 2006 et de 61 % par rapport à l’engagement du gouvernement précédent pour 2009. Résultat, les dépenses publiques du Canada en matière de programmes d'éducation de la petite enfance et de garderie s’élèvent à seulement 0,25 % du PIB, soit environ le tiers de la moyenne des pays de l’OCDE (0,7 %) et bien en dessous du minimum international prescrit de 1 % du PIB.  

Après avoir raté l’occasion de convier les enfants, les femmes et les familles au banquet de l’économie d'abondance, le Canada s’est précipité dans la dernière récession drapé dans une écharpe de misère profonde et d'inégalité, exacerbant le problème en manquant l'occasion de récolter les avantages sociaux et économiques des dépenses de stimulation en matière de garderies.

Conclusions et recommandations

Au nom de l’Association canadienne pour la promotion des services de garde à l'enfance, et reprenant notre contribution à l’Alternative budgétaire pour le gouvernement fédéral pour 2011 du Centre canadien de politiques alternatives, à la page 43, Section 1, Securing our Common Wealth, nous réitérons que des preuves irréfutables indiquent que le bon type d'investissement public dans l'éducation de la petite enfance et les garderies – avec ses multiples avantages pour une multiplicité de groupes – offre certains des avantages les plus élevés produits par les stratégies politiques que les nations peuvent adopter. Les études économiques ont démontré constamment que les dépenses publiques bien conçues favorisent la santé, font progresser l’égalité des femmes, agissent pour lutter contre la pauvreté des enfants et des familles, approfondissent l’inclusion sociale et font croître l’économie.

Afin de protéger et de promouvoir l’intérêt public, le gouvernement fédéral doit affirmer son leadership et fournir un soutien financier considérable aux provinces et aux territoires qui s’engagent à édifier des systèmes publics d'éducation de la petite enfance et de garderies. Le gouvernement fédéral doit établir un cadre stratégique pour orienter la collaboration avec les provinces et les territoires, fournissant des fonds fédéraux à ceux qui sont responsables de ce qui suit :

1.    Les plans publics (y compris le droit universel en vertu de la loi, les cibles et les échéanciers) pour développer des systèmes exhaustifs et intégrés de services d'éducation de la petite enfance et de garderies qui répondent aux besoins de garde et d'éducation de la petite enfance des enfants et des parents.

2.    L’expansion du secteur public par l'entremise de services publics d’éducation de la petite enfance et de garderies (incluant l’intégration des services communautaires existants dans les systèmes publics).

3.    Le financement public offert aux systèmes d’éducation de la petite enfance et de garderies, et non aux parents pris individuellement, conçu pour créer et maintenir des services de grande qualité et accessibles.

4.    La surveillance publique et la présentation de rapports au pouvoir législatif (fédéral, provincial et territorial) sur la qualité et l'accessibilité des systèmes d'éducation de la petite enfance et de garderies. 

À l’intérieur de ces grandes recommandations, l’ACPSGE reconnaît le droit des Premières Nations du Canada et des Autochtones de concevoir, d’offrir et de gouverner leurs propres services d’éducation de la petite enfance et d'apprentissage. Nous respectons également le droit du Québec de développer des programmes sociaux et nous saluons le leadership démontré par le Québec en établissant son système de garderies. Toutefois, comme il est clair qu'il faut plus de financement fédéral pour faire progresser le système du Québec, l’ACPSGE encourage le gouvernement fédéral à travailler avec le Québec pour réaliser les objectifs de la province en matière de garderies. 

Dans les pays qui ont adopté ces types de stratégies comme l’un des éléments clés de la politique familiale, les services d’éducation de la petite enfance et de garderies sont un volet attendu et prévu des communautés. Au même titre que les écoles, les bibliothèques et les centres de loisirs, les services d’éducation de la petite enfance et de garderies sont disponibles, accessibles et abordables pour tous ceux qui choisissent de les utiliser. Le développement sain des enfants et la conciliation travail‑famille bien équilibrée sont bien supportés, la main‑d'œuvre d’aujourd’hui et de demain est améliorée et le rendement économique de l’investissement public est rapidement atteint.

Le Canada a toutes les ressources et la motivation dont il a besoin pour édifier les systèmes d’éducation de la petite enfance et de garderies que les familles veulent et dont elles ont besoin. D’une part, nous avons la crise quotidienne que les familles doivent traverser pour arriver à organiser tant bien que mal la garde des enfants avec des options extrêmement limitées, qui coûtent souvent cher et dont la qualité varie. Inversement, nous avons des piles d’études qui prouvent les multiples avantages d’une approche exhaustive et intégrée en matière d’éducation de la petite enfance et de garderies, des avantages réalisables seulement si nous nous assurons que les services sont de grande qualité et accessibles.

Nous avons des modèles qui soutiennent le développement de plans avec des échéanciers, des cibles et des indicateurs clés de système pour réaliser la responsabilité en matière de résultats. Nous avons tous les partis d’opposition au Canada qui conviennent de l’importance des services d’éducation de la petite enfance et de garderies, et de nombreuses provinces sont impatientes d'aller de l'avant. Et sans que ce soit surprenant, à la lumière de tout ce qui précède, nous avons des sondages qui indiquent sans cesse que les Canadiens veulent plus d'investissement public dans ces services.

En fait, il y a très peu d’opposition déclarée à l'éducation de la petite enfance et aux garderies qui n'est pas basée sur des mythes néfastes ou de la pensée magique voulant que le statu quo en matière de services de garderies finisse d’une façon ou d’une autre par venir à bout de la crise, malgré les preuves écrasantes et trente ans d'expérience démontrant le contraire.

Le leadership fédéral en matière d’éducation de la petite enfance et de garderies est le dernier obstacle à franchir pour réaliser des progrès significatifs.